Un platane sur la place du village

  • Cécile 

Ceci aurait pu être le titre d’une chronique sur un village de Provence. Ou celui d’un tableau de Tony Wåhlander, artiste contemporain né en Suède et installé à Barjols depuis 2006.

Le platane, on le retrouve dans l’œuvre de Van Gogh [1], le long des grandes allées du Midi, chez Platon [2] et… dans le 20e arrondissement de Paris !

C’est par une fin d’après-midi dominicale, aux températures adoucies grâce au vent léger succédant à plusieurs jours caniculaires, que Mathieu et moi décidons d’aller arpenter un nouveau quartier de Paris. Cela faisait longtemps que nous n’avions pas pris le temps de flâner dans les rues et les quartiers insolites de la capitale, en dehors des sentiers battus.

Mathieu me demande alors : « Où m’emmènes-tu ? ». Je lui réponds : « Nous partons à la campagne ». Et nous voilà, baskets aux pieds, en route vers l’Est, direction Porte de Bagnolet.

Sortis du métro, on cherche la rue Geo-Chavez qui nous permet d’accéder aux escaliers de la rue du Père-Prosper-Enfantin. En haut de la butte, de manière surprenante, le brouhaha de la Porte de Bagnolet s’estompe, disparaît presque, pour laisser place à un cadre bucolique, protégé, avec des maisons mignonettes, en pierre meulière ou en brique avec des jardinets fleuris et des balcons coquets. Il n’y a aucune voiture, à l’exception de celles des habitants (quasiment que des micro-voitures [3]) garées dans la petite allée de leur entrée respective, pour ne pas déborder dans les rues pavées.

J’observe Mathieu surpris. Je suis fière de lui montrer un coin de Paris qu’il ne connaît pas. Pour cause, ce n’est vraiment pas connu. Et pourtant, en cherchant bien, on trouve dans les guides [4] quelques lignes sur ce quartier, baptisé la « campagne à Paris ».

Les maisons en meulière me rappellent celles que l’on peut voir le long de la Marne ou dans d’autres coins de la région parisienne, surtout dans la partie orientale. Cette architecture particulière présente un style et une ornementation inspirés par l’Art Nouveau. Les maisons ont été construites, pour la plupart, entre 1880 et 1930 par de riches Parisiens souhaitant profiter de la campagne. Mais au départ, la pierre meulière, produite à La Ferté-sous-Jouarre [5], en Seine-et-Marne, connue pour sa dureté exceptionnelle, servait surtout à faire des meules qui équipaient les moulins… dans le monde entier ! Ces pierres à moudre ont permis de broyer la farine indispensable à la fabrication du pain, nourriture essentielle à toutes les époques et dans beaucoup de pays [6].

La Ferté-Sous-Jouarre, capitale mondiale de la pierre meulière, a ainsi connu son heure de gloire jusqu’à la moitié du 19e siècle avant de commencer à péricliter en raison de l’arrivée de nouvelles meules industrielles. Pour relancer l’activité, la Société Générale Meulière est créée en 1881. Pourtant, en raison de plusieurs grèves successives des ouvriers qui subissent des conditions de travail éprouvantes (l’espérance de vie ne dépasse pas 45 ans) et malgré les commandes de la bourgeoisie parisienne, fervente de maisons secondaires, l’industrie meulière ne parvient pas à rependre une vitesse de croisière suffisante pour survivre. La Société Générale Meulière échoue à enrayer le déclin engagé et doit définitivement fermer en 1951.

Le souvenir d’un passé industriel comme celui de la Ferté-sous-Jouarre contraste avec la quiétude de notre quartier insolite de Paris, perché sur sa butte et dominant l’effervescence populaire de la Porte de Bagnolet.

Nous redescendons vers la place Octave-Chanute pour rejoindre la place Edith-Piaf. Notre promenade dans le Paris villageois ne s’arrête pas là. Avant de rentrer chez nous, nous passerons encore par le vieux village de Charonne, qui mérite à lui seul une petite chronique. À bientôt alors pour la suite !

Atelier de montage des meules – Société Générale Meulière, La Ferté-sous-Jouarre
Marches donnant accès à la campagne à Paris
Maison en pierres meulières et maison en briques
Rue typique du quartier
Rue typique du quartier avec micro-voiture
Maison typique et autre accès vers la butte

Mais finalement, me direz-vous, il est où ce platane ? À vous de le trouver et de nous écrire la réponse sur ce blog ! Suivez bien le parcours indiqué et vous tomberez dessus. Une petite surprise récompensera le premier participant qui aura posté la bonne réponse en commentaire !


[1] Vincent van Gogh, 1889, Les grands platanes (Travailleurs de la route à Saint-Rémy)

[2] Dans Phèdre de Platon, Phèdre et Socrate discutent sous un platane de l’amour, de la folie et de l’immortalité de l’âme.

[3] On a surtout vu des smarts. Le saviez-vous ? Smart signifie Swatch Mercedes Art car.

[4] Par exemple, dans Le Routard, Paris, édition 2018, pages 559-560.

[5] Source : site officiel de la commune https://www.la-ferte-sous-jouarre.fr/votre-ville/lidentite-fertoise/patrimoine/

[6] Pour lire davantage sur la pierre meulière : https://www.parc-naturel-chevreuse.fr/new-life-starts-here/habitat-et-jardin-architecture-locale/la-meuliere-pierre-precieuse-dile-de

3 commentaires sur “Un platane sur la place du village”

  1. Le platane est au milieu de l’escalier !

    Il aurait été bien aussi de se rappeler pourquoi la rue porte le nom de l’Enfantin… nouveau gourou d’une secte qui est apparue au début du XIXe siècle, ancêtre d’un certain communisme ou plutôt d’un socialisme détonant où les femmes avaient des droits et une très grande liberté. Chacun et chacune pouvant travailler dans les phalanstères dans lesquelles la vie devait être douce. Mais l’histoire de l’Enfantin s’arrêta vite et les successeurs ont détruit ce projet utopique.

    Bon, il faudrait aussi rappeler – dans la logique de l’Enfantin- combien ce quartier était destiné à des gens modestes. Hélas aujourd’hui, c’est encore un quartier envahi par les bobos parisiens. Rares sont les rues à Paris à double appellation : celle-ci en fait partie. Les deux noms sont à étudier ensemble 😉

    Enfantin était un ami de Dumas qui était très intrigué par ce mode de communauté 🙂

    1. Merci Laurent, c’est passionnant ! Nous sommes complètement passés à côté de cette partie de l’histoire du quartier.

  2. Un commentaire d’Elodie, que je remercie, posté sur ma page FB et qui a accepté qu’il soit reproduit ici:
    « Cet article est très joliment écrit et me touche particulièrement étant originaire d’une ville peu distante de la Ferté-sous-Jouarre ! »

Les commentaires sont fermés.