Dès le début, on sent que ce séjour en Alsace va être sympa. Dans le TGV, le chef de cabine barbu et en bras de chemisette s’arrête pour montrer ses tatouages et raconter leur petite histoire aux quatre jeunes femmes assises devant nous. Il porte sur son avant-bras gauche une sorte de compas de vegvisir, symbole de protection et de guidage cher aux vikings. Cet agent de la SNCF est un navigateur ferroviaire, qui nous mène forcément à bon port : Strasbourg.
25 kg de glace
À 9 heures, nous sortons de la verrière de la gare, direction la Grand’Rue pour un petit déjeuner copieux. Nous marchons ensuite rapidement jusqu’à notre location (rue Schweighauser, chère à Cécile) pour y déposer nos affaires. Puis nous commençons la visite touristique ponctuée de nombreuses anecdotes personnelles, d’abord à pied. On longe le Jardin botanique et le Palais universitaire (où Cécile a soutenu sa thèse) puis la Gallia. Les quais de l’Ill nous guident jusqu’au Palais Rohan et la Cathédrale.
On arrive rapidement à la Petite France, quartier pittoresque de Strasbourg, avec ses vieilles maisons à colombage, ses canaux, ses bateaux mouches, son petit-train, ses nombreux touristes… et son patrimoine industriel. Cécile m’entraine dans les couloirs de l’Hôtel Régent Petite France et je découvre ébahi une salle des machines : celles des Glacières de Strasbourg, uniques en Europe. Le jaune, le rouge et le bleu des spots lumineux ricochent sur la patine des roues, des tuyaux et des volants en fonte.
À la toute fin du XIXe siècle, les anciens moulins de la Petite France sont transformés en usine frigorifique. Cette usine exploite les principes de la thermodynamique et met en application le Cycle de Carnot. L’énergie hydraulique de l’Ill entraîne plusieurs compresseurs [1] qui viennent comprimer et liquéfier un gaz placé en circuit fermé. Celui-ci passe ensuite dans une tubulure à gros diamètre : la pression diminue et le liquide s’évapore en absorbant de la chaleur.
L’eau potable est prélevée dans la nappe phréatique puis injectée dans des moules métalliques de 25 litres qui sont plongés dans une grande cuve. Le froid généré par la détente du gaz permet de faire descendre la température dans cette cuve à -5°C. Il faut 18 heures pour que l’eau se transforme en glace. Après démoulage, les barres de glace sont prêtes à la livraison. 10 000 tonnes de glace sont ainsi produites chaque année entre 1920 et 1945. Après-guerre, l’usine est directement concurrencée par le réfrigérateur ; son activité s’éteint peu à peu.
L’usine est vendue au début des années 1990 pour être transformée en Hôtel. L’association Les anciennes glacières de Strasbourg sauve les archives de l’entreprise, réussit à préserver l’essentiel des machines historiques et à les faire classer Monuments Historiques. Certaines sont donc visibles depuis le rez-de-chaussée de l’hôtel, avec un jeu de lumière qui les met en valeur. L’association organise chaque année des visites lors des Journées du Patrimoine.
Kehler Messdi : la fête au village
Avec notre VélHop, en quelques minutes nous traversons le parc du Contades, passons au pied des institutions européennes et faisons une pause pique-nique au parc de l’Orangerie. Après avoir franchi la zone portuaire, nous atteignons notre objectif de l’après-midi : la Passerelle des Deux Rives, élégamment suspendue au-dessus du Rhin [2]. Les jardins de part et d’autre sont agrémentés de nombreuses aires de jeux et de repos pour les grands et les petits. L’ambiance est familiale, apaisée, verdoyante.
Notre excursion nous conduit au centre-ville de Kehl, où Cécile avait l’habitude d’aller faire ses achats transfrontaliers. Et là, surprise ! La place du marché et la rue principale sont bondées de monde, un verre de bière à la main pour les adultes, une glace ou une gaufre pour les plus jeunes. Les habitants de la région sont réunis à l’occasion de la Kehler Messdi, la fête annuelle. Nous assistons à plusieurs démonstrations du club de danse du village voisin, en dégustant une Apfel-Schorle. Le dépaysement est total.
Le retour à Strasbourg se fait par le Quartier Neudorf Rive Étoile et la médiathèque. Comme il fait bon et que nous avons encore une bonne heure devant nous avant de rendre les vélos, nous poursuivons notre balade le long de l’Ill, en partant du Musée d’Art moderne et contemporain, puis du Canal de la Bruche. Nous avalons les kilomètres sans difficulté, la brise et les rayons du soleil caressent nos visages et nos bras. Nous nous octroyons une mini-sieste dans l’herbe du Parc du Niederholz. La vie semble bien douce dans ce coin de l’hexagone.
La journée se termine par un dîner dans le quartier étudiant (La Krutenau), qui a semble-t-il gardé son âme. L’occasion pour moi de faire la connaissance de plusieurs amis de Cécile et d’en apprendre encore davantage sur son passé strasbourgeois. Sur le chemin entre le restaurant et notre Airbnb, ce sont les Vosges qui se dressent dans nos esprits…
Quelques références et adresses
- Anciennes glacières de Strasbourg : 5 rue des Moulins
- Le site de l’association Les anciennes glacières de Strasbourg en particulier le reportage du photographe belge Patrice Niset et les plans d’archives de l’usine.
- Le Salon de thé Grand’Rue (80 Grand’Rue) pour un petit déjeuner copieux, un déjeuner ou un goûter. Le buffet de pâtisseries faites maison est impressionnant.
- Le restaurant Le Pont aux Chats (42 rue de la Krutenau), cuisine du marché à base de produits locaux. J’ai particulièrement apprécié les « cromesquis de choucroute ». Et précisons que ce restaurant est accessible aux personnes allergiques aux chats : il n’y a que des coussins et bibelots en forme de chat.
[1] Les turbines entraînaient également un alternateur pour produire de l’électricité (sur le même principe que les barrages hydroélectriques d’aujourd’hui). Cela permettait d’alimenter tout le site, de recharger les batteries des camions de livraison et le surplus était revendu à Électricité de Strasbourg. Un bel exemple d’écologie industrielle.
[2] Saviez-vous que Cécile, alors étudiante en maîtrise d’Allemand, a réalisé un stage chez un média local au moment de l’inauguration de cette passerelle ? Elle a notamment interviewé l’architecte, le paysagiste et des riverains des deux côtés.
